La peur d’avoir mal aux seins pendant une mammographie peut éloigner certaines femmes du dépistage du cancer du sein. Pourtant, grâce aux innovations techniques et à l’emploi de l’intelligence artificielle, c’est presque devenu un examen de routine, rassure le radiologue Patrick Toubiana.
En 2022, 2 424 599 femmes ont effectué une mammographie de dépistage organisé. C’est moins d’une femme sur deux, déplore Santé Publique France, qui constate des chiffres en baisse depuis 2021.
Et si l’on peut en partie accuser la pandémie de Covid-19, les radiologues savent que pour de nombreuses femmes, une des raisons de se dispenser d’un tel examen peut parfois être tout autre. Selon un sondage Europa Donna France réalisé par l’Institut français d’opinion publique (Ifop) en 2017, « 43 % des femmes touchées par un cancer du sein et 47 % des moins de 35 ans estiment que la mammographie est douloureuse (contre 34 % dans la population générale). Le radiologue et vice-président chez Excellence Imagerie, Patrick Toubiana, commente : « c’était vrai il y a 10 ou 15 ans. Mais aujourd’hui, dans la grande majorité des cas, c’est un examen presque classique”. Indolores, les nouvelles générations de mammographes seraient aussi plus adaptées aux morphologies diverses, assure-t-il.
Le mammographe, une machine née de l’imaginaire masculin
Depuis le début du XXe siècle, les médecins se sont succédés afin de rendre la mammographie toujours plus fiable. En 1913, c’est le chirurgien allemand Albert Salomon qui détecte pour la première fois un cancer du sein grâce aux rayons X. Ensuite, en 1949, le radiologue uruguayen Raul Leborgne insiste sur la nécessité de compresser – beaucoup – le sein lors de l’examen pour mieux identifier les lésions. « Le sein est comme un éventail fermé. Plus on va appuyer dessus, plus il va s’ouvrir et on pourra en examiner chaque lobule de glande », métaphorise le Dr Toubiana. Quant au premier mammographe, il est conçu en 1965 par le strasbourgeois Charles-Marie Gros. Historiquement, cette machine n’est rien d’autre qu’un compresseur à seins dotés de deux plaques et d’une surface permettant de protéger le visage des rayons X. Et parce qu’il n’a toujours été pensé que par des hommes, la question du confort semblait superflue. Alors, jusqu’à récemment, faire une mammographie pouvait vraiment faire mal. Jusqu’à en faire fuir plus d’une : « Je reçois des femmes âgées qui me disent ‘Ça fait 10 ans que je n’ai pas fait de mammographie parce que j’ai trop peur que ce soit douloureux' », témoigne le Dr Toubiana.
Des appareils plus confortables
Heureusement, la technique a depuis subi de larges évolutions. Sur la forme, le mammographe classique est aujourd’hui doté de lignes « plus douces et arrondies » afin de maximiser le confort de la patiente. Quant à la plateforme de compression, elle est capable de s’adapter à toutes les tailles de poitrine. Et ce n’est pas tout : la plaque sur laquelle le sein est posé n’est plus glaciale : « Maintenant, elle est tiédie, proche des 25 degrés », assure le radiologue. Sur le fond, la mammographie n’est plus non plus la même. La majorité des appareils emploient aujourd’hui la tomosynthèse. Particulièrement utile pour les femmes aux seins denses, cette technique d’imagerie en 3D permet de traverser la densité sans avoir besoin de trop appuyer. L’avènement de l’intelligence artificielle offre aussi aux radiologues la possibilité d’interpréter les résultats avec plus de précision, en ne comprimant que légèrement le sein. « Chez nous, les femmes utilisent une télécommande pour leur permettant de comprimer elles-mêmes leur sein quand elles ont peur. En général, elles finissent par compresser plus fort que nécessaire », certifie le Dr Toubiana. La qualité de l’image et le temps d’examen relatifs à ce système d’autocompression sont jugés équivalents à la mammographie classique par la Food and Drug Administration (FDA).
Un examen qui reste incontournable dans le dépistage du cancer du sein
Mais il ne suffit pas d’un bon mammographe pour faire une bonne mammographie. Et le radiologue en est certain : pour un dépistage indolore, il est nécessaire de mettre les seins des femmes entre les mains de manipulateur.ices habitué.es à ce type d’examen. “Pendant longtemps, la mammographie était réalisée dans un cabinet classique, où on faisait tout type de radiographie. Les radiologues n’avaient pas forcément conscience qu’ils faisaient mal », justifie le spécialiste. Capables de détecter des tumeurs inférieures à 5 millimètres de diamètre, la mammographie sera toujours incontournable dans le dépistage du cancer du sein. Cet examen est d’autant plus indispensable pour les femmes à forte poitrine, qui peuvent voir la tumeur se loger dans une partie impalpable du sein. Alors, l’enjeu est de taille. « Ce qu’on veut absolument, c’est que la patiente revienne. Si elle garde un souvenir horrible de son expérience, elle ne fera plus son dépistage ». Ce qui est d’autant plus vrai pour les femmes en situation de handicap, qui sont 85,7 % à déclarer ne jamais avoir eu de mammographie, d’après l’étude Handigynéco-IdF. S’il assure que les nouveaux appareils sont conçus de façon à pouvoir s’abaisser au niveau du fauteuil roulant, le Dr Toubiana concède que les cabinets de radiologie équipés sont encore très minoritaires.